L’obligation de mettre des embouts aux bâtons (de randonnée et de marche nordique) sur nombre de sentiers bretons me fait bondir. Certes il n'est pas impossible de marcher nordique sans les pointes, mais outre le fait que ce soit moins efficace, les sensations sont tellement moins bonnes.
Raison invoquée par les décideurs : lutter contre la dégradation des chemins. C’est une position dogmatique à mon avis totalement injustifiée qui me fait pousser ce "coup de gueule", une fois n’est pas coutume, à l’égard de (certains) élus, politiques et fonctionnaires bretons.
La dégradation de certains chemins est parfois une réalité qu’il ne faut pas nier et contre laquelle il est utile de lutter. Mais l’imputer aux pointes est un non-sens. C’est en réalité la sur-fréquentation, avec ou sans bâtons d'ailleurs, qui en est de toute évidence la cause et parfois des comportements inappropriés, parfois révoltants quant au respect de l'environnement.
Illustration d’une position dogmatique
Lors d’un de mes séjours bretons, j’ai eu l’occasion d’apprécier la splendeur de l’environnement sur le GR34, côté golfe du Morbihan (c’est superbe aussi côté nord). Muni de mes bâtons et leurs pointes, je m’y applique à bien marcher nordique dans le respect de la nature.
A l’occasion d’un départ pour une journée de marche sur l’ile aux Moines, le préposé à la distribution des tickets d’embarquement, voyant nos bâtons, nous informe que les embouts sont obligatoires. Nous n’en avons pas, alors il nous conseille d’aller récupérer des bouchons en liège à la brasserie en face. Le serveur, de toute évidence habitué, va gentiment nous chercher ça. Nous pouvons alors avoir le blanc sein pour monter sur le ferry, mais je n’ai aucune intention de piquer des bouts de bouchon sur mes pointes : comment marcher nordique avec ça ?
Je suis inquiet pour la marche à venir, le tour de l’ile sur le sentier côtier, vu le nombre de personnes sur le ferry bondé. Au débarquement, nous sommes en effet englués dans la foule, jusqu’au centre du village. Et puis, miraculeusement, la foule disparait dès que nous nous engageons sur un chemin qui nous emmène vers le sentier côtier, où nous ne verrons bizarrement pas grand monde en ce mois d’avril. Nous pouvons enfin clipser nos bâtons et nous mettre en mode marche nordique.
Nous y croisons, là, un couple de personnes d’un certain âge (pas si éloigné du mien) et leur chien, des autochtones je suppose. Lui m’informe sur un ton peu aimable que les pointes sont interdites ici pour ne pas dégrader les chemins. Vu la vitesse de notre progression en sens inverse, je n’ai pas le temps de lui répondre, alors je fais demi-tour, non pour l’agresser mais pour faire paisiblement œuvre de pédagogie. Je le sens inquiet, alors je le rassure : « je veux juste vous montrer quelque chose ». Je ralentis la cadence pour marcher à leur rythme à leurs côtés tout en conservant la technique de marche nordique et lui propose de regarder nos traces. Ça tombe bien nous sommes sur un chemin plutôt sablonneux qui marque bien. Je lui fais remarquer qu’on voit bien la marque des crampons de mes chaussures (celles des siennes aussi d’ailleurs) mais pas du tout celle des pointes.
Oui me dit-il mais ça peut endommager la flore sur le bord des chemins. Je lui réponds que je ne sors pas des chemins, surtout dans un environnement naturel que je respecte au plus haut point.
Oui mais… à bout d’argument il sort le joker : « c’est interdit pas la préfecture ».
Conséquence concrète des arrêtés sur la compétition
Toujours autour du golfe du Morbihan, je suis fan de l’Ultramarin. A l’occasion de ma deuxième participation à l’épreuve de marche nordique (voir mon compte-rendu), nous avons été informés quelques jours avant le départ que les embouts étaient obligatoires, ce qui n’a pas manqué de susciter la colère de nombreux participants. Évidement les organisateurs ont dû se soumettre à la règlementation.
Cela a valu à l’épreuve de perdre son label FFA pour le Marche Nordique Tour. Quel dommage !!! En tout cas pour moi, marche nordique tour ou pas, pas question d’y retourner dans ces conditions, je suis devenu depuis plus exigeant sur la gestuelle et la qualité de mes ressentis.
Contre exemple dans le Vercors
J'ai eu aussi l'immense plaisir de fréquenter les magnifiques sentiers des plateaux du Haut-Vercors, avec mes fidèles bâtons et leurs pointes.
Paysages et ambiance radicalement différents dans un écrin exceptionnel classé réserve naturelle nationale. Elle est gérée par une équipe de gardes exerçant des missions variées de gestion, scientifiques, d’accueil, d’information, d’éducation à l’environnement et de police de l’environnement.
J'y ai croisé une charmante jeune guide, venue tout sourire à notre rencontre pour échanger. Conseil sur les itinéraires, recommandations pour la préservation de la nature, elle nous a fait partager sa passion pour son environnement. Mais de restriction quant à l'utilisation des pointes, il n'en a pas été question. Ces gens là, sur le terrain, savent eux ce qu'il en est, en constatant concrètement le non impact des pointes sur les sentiers.
La sur-fréquentation
Sans fréquentation, pas de chemins : ils se referment vite, gagnés par la végétation. Mais il vrai qu’une fréquentation trop importante sur des sols fragiles peut avoir un impact néfaste, avec ou sans bâtons. L’impact néfaste c’est pour les sentiers mais aussi pour le plaisir de les fréquenter. Une autre expérience bretonne en été, côté nord cette fois autour du cap d’Erquy, m’en a convaincu.
Toujours en marche nordique sur un de mes spots préférés (je l’avais découvert il y a longtemps à l’occasion du Trail Landes et Bruyère), je me suis senti oppressé par la foule. Impossible de dépasser la file ininterrompue de promeneurs, avec celle tout aussi impressionnante qui venait dans l’autre sens sur le sentier étroit. Alors je n’ai pas contribué à la sur-fréquentation : j’ai pris la première bifurcation qui m’a permis de trouver d'autres chemins pour enfin marcher sereinement, sans regret de quitter le bord de mer dans ces conditions, loin de foule.
Alors on fait quoi ?
Prendre une mesure cosmétique comme l’obligation des embouts n’a aucun intérêt si ce n’est de "faire semblant de faire quelque chose", d’afficher une volonté politique qui ne règle en rien le problème quand il existe. Aucune mesure d’impact n’a jamais d’ailleurs été réalisée à ma connaissance.
La seule vraie solution lorsque les conditions le nécessitent, c'est de limiter la fréquentation. C'est ce qui est fait par exemple dans les calanques de Cassis en la régulant les accès grâce à des quotas. Mais là, il faut avoir le courage d’assumer un choix fort et ses conséquences, notamment sur le tourisme et au plan économique.
Septembre 2024
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